Merci mon cher Edmond ! Merci parce que le hasard,
toujours bienveillant, m’a fait tomber sur un extrait de votre chef-d’œuvre
éternel : « Cyrano de Bergerac » ! Ayant moi-même un peu de
sang gascon dans les veines, je puis mieux comprendre que quiconque la leçon de
modestie, de fierté et d’indépendance que nous donne votre personnage.
Il montre, encore une fois, que la vertu de savoir dire
« non » aux faux honneurs est une vertu éternelle que beaucoup de nos
contemporains et surtout que notre personnel politique devrait faire sienne.
De Gaulle sut dire non. Gandhi sut non. Soljenitsyne sut
dire non, Mandela sut dire non..ect !
Tous les grands personnages de l’histoire du monde, qui nous
ont appris la Dignité et la Liberté, ont su le faire ! Alors lisez avec
bonheur et gourmandise ces alexandrins si revigorants pour nos âmes froissées
par tant de soumissions !
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LE BRET
Si tu laissais un peu ton âme mousquetaire
La fortune et la gloire...
CYRANO
Et que faudrait-il faire?
Chercher un protecteur puissant, prendre un patron,
Et comme un lierre obscur qui circonvient un tronc
Et s'en fait un tuteur en lui léchant l'écorce,
Grimper par ruse au lieu de s'élever par force?
Non, merci. Dédier, comme tous ils le font,
Des vers aux financiers? Se changer en bouffon
Dans l'espoir vil de voir, aux lèvres d'un ministre,
Naître un sourire, enfin, qui ne soit pas sinistre?
Non, merci. Déjeuner, chaque jour, d'un crapaud?
Avoir un ventre use par la marche? Une peau
Qui plus vite, à l'endroit des genoux, devient sale?
Exécuter des tours de souplesse dorsale?. . .
Non, merci. D'une main flatter la chèvre au cou
Cependant que, de l'autre, on arrose le chou,
Et, donneur de séné par désir de rhubarbe,
Avoir son encensoir, toujours, dans quelque barbe?
Non, merci! Se pousser de giron en giron,
Devenir un petit grand homme dans un rond,
Et naviguer, avec des madrigaux pour rames,
Et dans ses voiles des soupirs de vieilles dames?
Non, merci! Chez le bon éditeur de Sercy
Faire éditer ses vers en payant? Non, merci!
S'aller faire nommer pape par les conciles
Que dans des cabarets tiennent des imbéciles?
Non, merci! Travailler à se construire un nom
Sur un sonnet, au lieu d'en faire d'autres? Non,
Merci! Ne découvrir du talent qu'aux mazettes?
Etre terrorisé par de vagues gazettes,
Et se dire sans cesse 'Oh, pourvu que je sois
Dans les petits papiers du "Mercure François"?'
Non, merci! Calculer, avoir peur, être blême,
Aimer mieux faire une visite qu'un poème,
Rédiger des placets, se faire présenter?
Non, merci! Non, merci! Non, merci! Mais. . .chanter,
Rêver, rire, passer, être seul, être libre,
Avoir l'oeil qui regarde bien, la voix qui vibre,
Mettre, quand il vous plait, son feutre de travers,
Pour un oui, pour un non, se battre,--ou faire un vers!
Travailler sans souci de gloire ou de fortune,
A tel voyage, auquel on pense, dans la lune!
N'écrire jamais rien qui de soi ne sortit,
Et modeste d'ailleurs, se dire mon petit,
Sois satisfait des fleurs, des fruits, même des feuilles,
Si c'est dans ton jardin à toi que tu les cueilles!
Puis, s'il advient d'un peu triompher, par hasard,
Ne pas être obligé d'en rien rendre à César,
Vis-à-vis de soi-même en garder le mérite,
Bref, dédaignant d'être le lierre parasite,
Lors même qu'on n'est pas le chêne ou le tilleul,
Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul !